Apostles No. 16

Número 16

Seizième préface en dissension

Nous voici donc devant un joli numéro en français, un beau bébé en santé, tout sourire et plein d’énergie. Pourtant, grossesse et accouchement ne furent pas sans douleur. En effet, dès le départ, la sortie du numéro 16 en français assaillit de craintes plusieurs de nos collaborateurs habituels, tant ici que de l’autre côté de la rivière des Outaouais. Un vif débat s’ensuivit, ainsi qu’un intense échange de courriels. Ce que l’on recommande, en cas d’accouchement difficile, c’est de respirer par le nez. Ce que nous fîmes, non sans effort.

On a souvent décrit le Canada comme le pays où cohabitent deux solitudes. En lisant les commentaires suscités par l’idée de faire un numéro en français, j’ai eu peur que ces solitudes se soient multipliées, voire repliées davantage sur elles-mêmes. On n’a qu’à penser au sort que l’on réserve encore et toujours aux cultures et aux langues autochtones pour s’apercevoir que plus de deux solitudes vivent sous un même toit au Canada. En voulant faire un numéro en français étions-nous alors, tribu d’indomptables apôtres idéalistes croyant possible un projet que plusieurs n’hésiteraient pas à reléguer aux oubliettes, en train de nous heurter au mur infranchissable et froid de la solitude?

Il n’en fut rien, heureusement.

Ce numéro témoigne, au contraire, du désir de briser cette solitude. Or, sa mise au monde ne fut pas aisée. Non qu’il fut difficile de trouver des textes, des auteurs, des traducteurs mais plutôt à cause du débat que provoqua la seule idée de faire un numéro en français. Il nous fallut à tous une grande dose d’humilité pour arriver à concilier nos différences. La revue numéro 16 d’Apostles uniquement en français a le mérite de refléter plutôt nos points de convergence réunissant dans sa maison un éventail de voix : vieilles et moins vieilles, habituelles et nouvelles, francophones et francophiles. Tout d’abord, il y a les enfants de la loi 101, ces enfants d’immigrants qui sont allés à l’école en français et ont tout naturellement appris la langue du Québec, leur patrie–pour reprendre les propos de Roberto Bolaño et Juan Goytisolo cités par Alejandro Saravia dans son texte paru dans ce même numéro, mais aussi, ceux, très nombreux, qui, ayant l’espagnol comme langue maternelle à leur arrivée, ont adopté le français comme langue d’expression –ou alors écrivent dans les deux langues- ceux qui , pendant des années, se sont acharnés à apprendre la langue d’ici, à la chérir, à lui soutirer ses secrets les plus intimes, bref, ceux qui ont choisi de faire de cette langue leur patrie. Leurs textes dénotent tous la manière dont ce pays s’inscrit en eux et vice versa, l’apport dont ils enrichissent la culture et la littérature de langue française du Québec.

Il y a ceux, également, qui ont autant sinon plus d’affinités avec la littérature d’Amérique latine qu’avec celle du Canada. Ce sont des auteurs qui publient souvent dans la revue Apostles, des textes en espagnol ou en traduction vers l’espagnol.

Il faut également saluer la collaboration des écrivains qui, malgré la distance, le doute, l’hésitation, se sont donné la peine de faire traduire leurs textes dans l’autre langue officielle de leur pays afin d’être présents dans ce numéro. Ce geste, touchant, trouve un écho : nous sommes moins seuls et moins indifférents que nous ne le pensions. Leurs traducteurs seront dorénavant invités à la table d’Apostles .

Enfin, on a souvent décrié le fait qu’on lit de moins en moins au Québec, que la littérature est l’enfant pauvre de l’art. Or, ce numéro démontre hors de tout doute, le formidable dynamisme qui anime la littérature et le métier littéraire au Québec où les maisons d’édition, les traducteurs et les événements littéraires de tout acabit se comptent par centaines, dynamisme entrainant dont se nourrissent aussi les écrivains hispaniques du Québec.
Un bébé, disais-je plus haut, un bébé robuste et en santé qui apporte avec lui un tel nombre de textes qu’il pourrait bientôt avoir envie d’un petit frère. (Par césarienne programmée, s’il vous plaît, la prochaine fois).

Bonne lecture !

Flavia García
Montréal, novembre 2015.

 

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